Présentation de la Collection de la Fondation Stratton.
Par Robert et Nicholas Descharnes Experts et auteurs de Dalí : le Dur et le Mou, sculptures et objets
Pendant quarante ans, la Fondation Stratton a constitué la plus grande collection d’œuvres sculptées de Dalí, reflétant la vision en trois dimensions de l’artiste.
A ses débuts, alors qu’il travaille sur des illustrations pour Les Chants du Maldoror (1934), Salvador Dalí sculpte des figurines en plâtre (aujourd’hui introuvables) et conçoit des objets surréalistes qui seront par la suite exposés puis édités en séries limitées quelques années plus tard.
Lorsque Dali devient reconnu aux États-Unis (1939 – 1948), il comprend que la représentation de son travail et de ses idées en trois dimensions est un outil de communication formidable. Il trace alors des croquis et des modèles qui, une fois sélectionnés, sont transformés en sculptures et édités en différentes tailles afin d’être présentés à la fois dans des salles d’exposition et dans des lieux publics en tant que sculptures monumentales.
En 1931, Salvador Dali réalise une peinture qui devient iconique, La Persistance de Mémoire (MoMA, New York) et environ dix ans plus tard il peint La Désintégration de la Persistance de Mémoire (1952 – 1954, Salvador Dalí Museum, St Petersburg, Florida). Le thème du temps malléable, symbolisé par la montre molle, a régulièrement été interprété par Dalí ce qui donne naissance pendant la deuxième moitié de sa carrière à plusieurs sculptures telles que la sculpture éponyme La Persistance de Mémoire (1980) ou Le Profil de Temps (1977 – 1984). Les montres molles, comme la Noblesse du Temps (1977-1984), sont ainsi intégrées dans divers décors. C’est Benjamin Levi, le célèbre collectionneur milanais, qui a initié le développement des sculptures de Dali et qui a perçu l’artiste comme “esthétiquement” italien. M Levi a, à l’origine, rencontré l’artiste catalan pour un projet d’exposition. Cette rencontre a, petit à petit, débouchée sur un projet de créations de sculptures dans le but d’exposer le travail de ce génie à un plus large public. Beaucoup de ces sculptures ont été produites en collaboration avec Enrique Sabater, le secrétaire de Dali.
La collection de la Fondation Stratton offre des modèles en lien avec la période surréaliste des années 1930, produites par des collectionneurs et des galeries qui travaillèrent en collaboration directe avec l’artiste, comme la Galerie André François Petit à Paris pour le Mannequin javanais (1969) issu de l’illustration éponyme réalisée en 1934, ou encore le Yin et Yang (1968) de l’Ampurdanese Yin et Yang (1936).
Max Clarac a produit des objets surréalistes et des sculptures pour la Galerie du Dragon, la plus célèbre étant la Vénus aux Tiroirs (1964), conçue en 1936 avec l’aide de Marcel Duchamp (aujourd’hui, le moule en plâtre est à l’Institut d’Art de Chicago). En 1964, Dali conçoit deux autres Vénus de taille semblable à la célèbre sculpture conservée au Musée de Louvre. La Métamorphose Topologique de la Vénus de Milo aux Tiroirs est exposée à de nombreuses reprises notamment en 2006 à l’entrée de la rétrospective Dalí au Ludwig Museum de Cologne.
« L’Or est la célébration de l’âme » Salvador Dalí
Sa fascination pour la joaillerie et les métaux précieux pousse Dalí à travailler avec le Duc Fulco Di Verdura en 1941. Cette collection sera acquise par la Fondation Owen Cheatham aux États-Unis. L’artiste catalan rend hommage à l’un des orfèvres italiens les plus célèbres de la Renaissance, Benvenuto Cellini (1500-1571) en 1945, en devenant l’illustrateur de son autobiographie. Dans les années 1960, Mafalda Marouf Davis, une amie proche de Roi Farouk, invite Dalí à concevoir plusieurs objets en or, dont certains demeurent toujours à l’étape d’ébauche.
Parmi ces créations, on retrouve la Ménagère Surréaliste en vermeil (1962), la Montre peigne (1965) et la Tasse pour ne pas boire (1964). Vers la fin des années 1960, Dalí conçoit une série d’objets appelés Les Dali d’Or pour Jean-Paul Schneider, utilisant des pièces de monnaie ayant pour effigie son portrait et celui de Gala. Certains projets de sculptures existaient avant tout sous forme de bijoux, comme, par exemple, l’Éléphant Spatial réalisé par la Fondation Cheatham (1961) et dont le croquis date de 1956. Plus tard, des sculptures furent éditées dans l’esprit dalinien sous forme d’objets en pierres précieuses, mettant alors l’emphase sur sa passion pour l’orfèvrerie.
D’après Noël Daum, Dalí “est un des premiers artistes, si ce n’est le premier, à offrir des modèles”. En tant que créateur de formes et d’idées, Dalí croit fortement en la création de modèles dans des matières nouvelles dont il avait très peu de connaissance. Très rapidement, il annonce que “la pâte de verre est une matière dalinienne et je l’ai utilisé pour créer les chefs-d ‘œuvres qui feront désormais partie de nos vies. Je suis enchanté par cette nouvelle matière qui a l’élasticité moléculaire d’un escargot et la consistance d’une gare à Perpignan.” Autour de la fin des années 1950, au cours de ses ballades sur le Cap de Creus, Dalí collecte divers matériaux qu’il transforme et adapte. A cette même époque, il conçoit des assiettes et des Venus de Milo, qui sont produites par la Maison Daum et ce, jusqu’à la fin de sa vie.
Proposer aujourd’hui une large collection de l’œuvre de Salvador Dalí est synonyme d’années de recherche, armé de patience et de passion, dans les galeries et auprès des collectionneurs.
Des figures historiques majeures aux piliers de la littérature, Dalí trouve de multiples sources d’inspiration. Par exemple, l’artiste peint, en 1971, Louis XIV, le Roi-Soleil, qui devient plus tard la sculpture, le Chevalier Surréaliste (1971-1984).
D’autres héros, issus de la littérature, comme Lady Godiva ou Alice au Pays des Merveilles renaissent sous forme de sculptures dans l’univers de Dalí. La jeune héroïne naît sous la plume de Lewis Carroll (1832-1898) est, avec sa corde à sauter, omniprésente dans l’œuvre de l’artiste. Elle apparaît autour de 1934-1936 dans la peinture l’Écho Morphologique, métamorphosée en un clocher, puis est représentée dans d’autres peintures et devient enfin une sculpture en bronze en 1984.
La Licorne de la mythologie grecque, le Narval du monde marin et en particulier leurs cornes sont utilisés par Dalí pour recréer une production de la Dentellière de Vermeer en mai 1955 au Zoo de Vincennes à l’occasion de son premier film avec Robert Descharnes : l’Aventure Étonnante de Dentellière et le Rhinocéros. La corne est la clé de voûte de la création ; le bout de la corne du rhinocéros pouvant purifier l’eau. Cette idée est développée dans la sculpture de La Licorne (1984), d’après le modèle l’Agonie de l’Amour (c. 1977-1978).
“Ma bataille […] contre le scepticisme, au nom de la Foi […]”, Salvador Dalí
Des anges porteurs de messages, qui dans la psychanalyse peuvent représenter les manifestations du subconscient qui nous guide, apparaissent partout dans l’œuvre de Dalí. Nous les trouvons dans les sculptures La Vision de l’Ange (1977-1984), L’Ange Triomphant (1976-1984) et même L’Escargot et l’Ange (1976-1984), qui sont à l’origine trois gouaches, adaptées plus tard dans des formes tridimensionnelles. L’escargot, un hermaphrodite, paresseux mais aussi symbole de la Connaissance, est en substance très dalinien tout la montre molle et la notion du Temps qui s’écoule lentement.
St. George, héros de la Chrétienté, des croisades occidentales et immortalisé par la légende de sa bataille avec le Dragon, est aussi une grande source d’inspiration pour Dalí. En 1977, il peint une gouache qui deviendra par la suite la sculpture St George et le Dragon (1977-1984). Elle se trouve actuellement dans la collection du Vatican.
En plus des créatures faisant partie intégrante du répertoire iconographique de l’artiste tels que les mouches, les papillons, les sauterelles, les lions et les chevaux, un pachyderme se démarque : l’Éléphant. Tout d’abord il y a Surus, l’éléphant d’Hannibal (247-183 av. J.-C)), animal de guerre célèbre qui historiquement passe par la Catalogne, territoire de Dalí, avant de traverser les Pyrénées pour ensuite poursuivre sa route vers Rome. L’éléphant symbolise les quatre piliers du monde, à l’instar de la Connaissance et de la Mémoire. L’artiste joue aussi avec les images doubles, notamment dans son œuvre intitulée les Cygnes reflétant des éléphants en 1937. Cette association se transforme en bronze en 1967. Dalí installe des éléphants monumentaux dans les jardins du château dans Púbol. L’Éléphant Spatial (1980) soutient une pyramide, qui est la forme géométrique pure symbolisant une variété d’éléments à l’image de l’éléphant du Bernin (1598-1680) à Rome.
La collection de la Fondation Stratton s’expose dans le monde entier depuis vingt ans, et s’enrichit régulièrement de nouvelles pièces. La collection a aussi collaboré avec d’autres institutions, comme le Mitsukoshi à Tokyo en 1991 avec la Fondation Gala-Dalí et l’Ambassade espagnole. Des pièces monumentales furent aussi exposées dans les capitales européennes, telle que sur la Place Vendôme à Paris en 1995.
La collection accomplit ainsi le désir de Dalí d’étendre sa vision surréaliste et de représenter les symboles de son œuvre en trois dimensions, révélant ainsi sa vision et ses idées à un large public et donnant à ce dernier matière à penser.
Dans un monde en constante mutation, le maître catalan demeure une icône du vingtième siècle, même pour les nouvelles générations.
Robert Descharnes